Rigueur budgétaire : les agences de l'eau ajustent le tir
Le resserrement des budgets d'intervention des agences de l'eau leur impose un délicat exercice de style. Abandon de certaines aides, priorité au financement d'actions déjà engagées... Leurs onzièmes programmes rééquilibrent les ressources et redéploient les aides pour répondre aux enjeux des territoires. Un changement de cap confirmé par l'adoption, le 9 octobre, du programme de l'agence de l'eau Seine-Normandie. L'accent mis sur la solidarité territoriale et l'adaptation au changement climatique se confirment.
Difficile de sortir la tête de l'eau lorsqu'on est le principal acteur de la mise en œuvre d'une politique et qu'on est pris en étau entre des moyens qui régressent, avec en plus un plafond "mordant" sur le produit de redevances incitant à les baisser (au-delà de 2,1 milliards d'euros de produits les sommes perçues tombent dans les caisses de Bercy, voir notre article du 9 janvier 2018), et des dépenses à revoir en fonction de priorités dictées par le ministère de tutelle ou remontant des territoires. Le tout bien sûr en prise avec les besoins de chaque famille d'usagers de l'eau (collectivités, industriels, agriculteurs, associations, État). Et ce sans négliger les compétences qui évoluent ou vont évoluer : spécialisation des partenaires régionaux et départementaux, renforcement de l'intercommunalité avec la Gemapi !
Un rééquilibrage sous contrainte
Un exercice d'équilibriste et un contexte financièrement contraint que ne cache pas l'exécutif du comité de bassin Seine-Normandie. Avec le conseil d'administration de l'agence de l'eau, qui finance la politique de l'eau à partir de redevances perçues auprès des collectivités, industriels, agriculteurs et ménages, celui-ci vient d'adopter le 9 octobre à l'unanimité et après un an de préparation son onzième programme d'intervention 2019-2024. La ponction pratiquée par Bercy, qui double cette année, et doit notamment servir à financer l'Agence française de la biodiversité (AFB) et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), impacte fortement cette agence avec une "contribution" au budget de ces deux établissements chiffrée à 720 millions d'euros.
Les investissements sont comme prévu en baisse (3,9 milliards d'euros contre 4,7 sur 2013-2018) et réorientés vers des actions jugées prioritaires comme l'atteinte du bon état écologique des masses d'eau, la préservation des zones humides et champs d'expansion des crues, le recyclage de l'eau et sa réutilisation "lorsque cela est pertinent", ainsi que l'adaptation au changement climatique qui fait d'ailleurs l'objet de stratégies diversement avancées selon les bassins (actée dès 2016 en Seine-Normandie, plus récemment avec un plan en Adour-Garonne).
"Plus de 3,8 milliards d'euros vont néanmoins être investis sur six ans", tente de positiver François Sauvadet, président du département de la Côte-d'Or et du comité de bassin Seine-Normandie. Côté calendrier, l'adoption de son programme intervient quelques semaines après celle des bassins Rhône-Méditerranée et Loire-Bretagne.
Faire mieux avec moins
La trajectoire des onzièmes programmes est réglée sur l'efficacité, dans une logique de "faire mieux avec moins" et de réponse à apporter au cadrage gouvernemental. Pour cela chaque bassin a dû hiérarchiser ses actions à partir d'une grille d'appréciation. Tandis que Seine-Normandie mise sur des contrats "eau et climat" proposés aux collectivités sur des enjeux stratégiques, Loire-Bretagne s'emploie à majorer ses soutiens qui sont orientés vers les zones de revitalisation rurale. Seine-Normandie privilégie aussi "les investissements par rapport aux aides au fonctionnement ou à l'entretien".
Dans la lignée des assises de l'eau dont la première phase s'est clôturée fin août (voir notre article du 29 août) est réaffirmée une solidarité en faveur des territoires ruraux, notamment pour les aider à investir dans leurs infrastructures d'eau et d'assainissement et renouveler leurs canalisations. Le taux de cette aide est porté à 40% et le budget pour ces réseaux à 180 millions d'euros sur six ans. Tous réseaux confondus, un milliard d'euros va être consacré en Seine-Normandie au renouvellement des réseaux d'assainissement (+28% par rapport au dixième programme).
Autre enjeu, la gestion des eaux de pluie. Les aides y sont renforcées dans ce domaine où beaucoup reste à faire pour mieux réduire à la source, en milieu urbain, ces écoulements de temps de pluie. Seine-Normandie muscle aussi sa politique d'éco-conditionnalité des aides : meilleur soutien aux solutions "fondées sur la nature" (hydraulique douce, végétalisation). Les actions de coopération internationale en partenariat avec les collectivités sont maintenues.
Assainissement : le filtre se resserre
Parmi les dépenses réduites figure "l'arrêt des primes pour épuration, qui est programmé sur six ans afin de préparer une refonte des redevances domestiques en 2025 qui intégrera la pollution éliminée par les ouvrages d'épuration". Quant aux aides à l'assainissement individuel, elles vont être ciblées sur "les zones sensibles aux pollutions microbiologiques (baignades, zones conchylicoles, certains périmètres de protection rapprochée des captages et têtes de bassin versant)" et celles aux projets de stations d'épuration "réservées aux projets les plus ambitieux pour la reconquête de la qualité de l'eau". Le coup de vis budgétaire s'impose aussi à l'entretien des cours d'eau, avec des conditions d'accès rendues plus exigeantes.
Enfin, les aides aux collectivités seront conditionnées "à un bon renseignement de la base de données nationale du système d'information des services publics d'eau et d'assainissement (Sispea) permettant de suivre en toute transparence la performance de ces services : le comité de bassin recommande donc aux collectivités de prévoir un prix de l'eau suffisant pour une gestion durable des équipements d'eau potable et d'assainissement avec un taux de renouvellement tenant compte du vieillissement des ouvrages".